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Deux « expertes » mandatées par l’INSERM d’un côté et de l’autre, une famille « ordinaire », dont un enfant, sans connaissance scientifique particulière sur le traitement proprioceptif, voilà la scène qui s’est jouée durant la conférence Dys-moi tout !, sans réel contradicteur pour avoir un débat permettant à chacun de se faire une opinion. Et si la Présidente d’association que je suis, mieux armée scientifiquement que cette famille, « détricotait » à son tour ce qui a été dit durant la conférence Dys-moi tout ! ?
Les conférences Santé en Questions sont le fruit d’un partenariat entre l’Inserm et Universcience, avec la contribution d’acteurs régionaux de la culture scientifique et technique. L’une d’elle, « Dys-moi tout ! Comprendre les troubles de l’apprentissage », s’est tenue le 12 septembre 2019 à Paris, en duplex avec Montbéliard.
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A Montbéliard, la famille choisie pour témoigner avait un enfant dyslexique suivi par le Dr Quercia (Chercheur associé – Unité INSERM U1093 Cognition Action et Plasticité Sensorimotrice) pour une dysfonction proprioceptive. Cet enfant, qui a eu le courage de témoigner publiquement de son parcours dys, a naïvement décrit son traitement proprioceptif, son évolution dans le test du maddox au cours du temps, et expliqué que le pupitre et les semelles proprioceptives l’avaient aidé. Cet enfant et sa maman, confrontés chaque jour à ce traitement et à ses effets, mais sans connaissance scientifique particulière sur le sujet, n’étaient de toute évidence par armés pour en débattre de manière scientifique.
Les deux expertes mandatées par l’INSERM (C.Huron et C.Billard), ont préféré ne pas entendre ce témoignage et ont prétendu être « obligées de détricoter » de manière fort brutale : « aucune preuve scientifique de l’efficacité de la posturologie », « ça fait partie des mythes », « caractère magique ».
Le traitement proprioceptif, tel qu’il est présenté durant la conférence Dys-moi tout !
Hormis l’aspect humain et la violence ainsi faite à cet enfant et à sa famille, Sensoridys s’étonne de l’ambivalence de l’INSERM qui, dans le même temps, met en avant les travaux du Dr Quercia dans un article fort élogieux de son magazine (N°44) et donne ensuite la parole à des personnes dont tout le discours a été d’assimiler le traitement proprioceptif des troubles des apprentissages à la posturologie et de prétendre qu’il n’a rien de scientifique : « caractère magique », « baguette magique ». Ne serait-ce que par le vocabulaire qu’elles ont utilisé, « semelles orthopédiques », « exercices zen », ces intervenantes ont montré qu’elles n’ont aucune connaissance sur la reprogrammation proprioceptive, telle qu’elle est enseignée à l’Université de Bourgogne Franche Comté dans le cadre du DU Perception, Action et Troubles des Apprentissages, qui compte dans ses responsables pédagogiques le Pr Pozzo, Membre honoraire de l’Institut Universitaire de France, INSERM/U1093 et le Dr Quercia, lui-même chercheur associé à l’INSERM, Unité INSERM U1093 Cognition Action et Plasticité Sensorimotrice.
Peut-on prétendre donner un avis d’expert sur le sujet, sans avoir jamais évoqué -et certainement sans connaître- les travaux de recherche fondamentale sur la proprioception et notamment les travaux de recherche du Pr JP Roll concernant le rôle de la proprioception dans la localisation spatiale visuelle ? Travaux de recherche fondamentale qui ont amené celui-ci à écrire (La Proprioception : un sens premier ? Résonances Européennes du Rachis – Volume 14 – N° 42 – 2006 – Première publication : Intellectica, 2003, N° 36-37, pp 49-66) :
« La rétine est portée par un ensemble de segments corporels mobiles et emboîtés que sont successivement l’œil, la tête, le tronc et les jambes : les signaux proprioceptifs, issus de toute la chaîne des muscles mobilisant ces segments, « disent » à tout instant au cerveau quelle est l’attitude ou quels sont les mouvements du corps, et lui permettent le calcul de la position absolue de la rétine dans l’espace.»
« Plus qu’un « sixième sens », la sensibilité proprioceptive pourrait être un sens premier indispensable à l’émergence de la conscience de soi en tant qu’être capable d’action. De sorte que nos actions, connues de nous, seraient à même de donner du sens à nos cinq autres sens dont elles déterminent la maturation fonctionnelle, l’exercice et la mise à jour. »
Alors même que les travaux du Pr Roll prouvent le rôle de la proprioception dans la localisation spatiale visuelle, le Dr Billard a occulté l’aspect proprioceptif dans son travail de 2013 sur les troubles sensoriels, dont visuels, dans les troubles des apprentissages. (Interprétation du dépistage sensoriel dans les troubles des apprentissages ? Archives de Pédiatrie Volume 20, Issue 1, January 2013, Pages 103–110)
Et, comment peut-on encore parler de TDC ou dyspraxie en France, en 2019, sans jamais parler de proprioception ; alors qu’il existe des centaines de publications internationales qui prouvent le rôle de la proprioception dans les apprentissages moteurs, dans la correction des erreurs motrices ou encore dans la perception de l’espace ? D’ailleurs, il n’est même pas nécessaire d’aller très loin, ni de lire des publications scientifiques en anglais, pour voir ce lien évoqué. Dans l’émission suisse 36.9, dont le sujet était « Dyspraxie : Je suis maladroit, et alors ? », l’hypothèse de l’origine proprioceptive de ce trouble est abordée et la proprioception expliquée par le Dr Claudia Poloni, neuropédiatre à l’hôpital de Sion. Sensoridys ne peut encore que rêver de voir un jour ce lien évoqué dans une émission de vulgarisation scientifique sur le sujet, en France !
Pourtant, ne devrait-il pas appartenir à l’INSERM et à UNIVERSCIENCE de vulgariser les connaissances scientifiques sur ce sens si particulier, qui a été décrit à la fin du XIXème siècle par Charles Sherrington (Prix Nobel de médecine en 1932) ? En effet, l’apport de la recherche française sur le sujet est loin d’être négligeable avec les travaux des Prs J. Paillard, A. Berthoz, R. et JP. Roll, etc. …
Pour en revenir à la conférence « Dys-moi tout ! » ; pétries de leurs certitudes, Mmes Billard et Huron ont préféré rejeter, encore une fois, le témoignage des familles plutôt que de s’interroger sur l’intérêt et les apports de cette nouvelle approche des troubles des apprentissages. En humiliant cet enfant et sa famille (les félicitations adressées à l’enfant au départ n’étant qu’un prétexte à la démolition en règle qui a suivi), ce sont toutes les familles de patients traités pour une dysfonction proprioceptive que Mmes Billard et Huron ont blessées, en les faisant passer au mieux pour des imbéciles incapables de juger des progrès qu’elles peuvent attribuer à ce traitement, au pire pour des esprits faibles entre les mains de praticiens peu scrupuleux : « attendez, on ne peut pas dire que parce qu’on a eu quelque chose, c’est ça qui a fonctionné, il y aussi d’autres choses ». Et pourtant, des familles viennent de très loin pour faire suivre ce traitement à leur enfant : Arabie Saoudite, Qatar, USA, Canada, Maroc, etc.
Nous savons bien que cette prise en charge, encore très jeune, est en cours de validation scientifique. En effet, dans son rapport de juin 2016 « Evaluation de l’efficacité du traitement proprioceptif de la dyslexie », l’INSERM confirme la sécurité de la prise en charge proprioceptive, mais ne peut pas conclure sur son efficacité dans la prise en charge de la dyslexie, par manque de travaux suffisants. Néanmoins, on peut noter que ce même rapport de l’INSERM signale que la rééducation orthophonique n’a pas non plus été validée scientifiquement, sans que cela n’émeuve grand monde (p.61, p.76).
Arriver à un consensus scientifique autour de la reprogrammation proprioceptive demandera donc encore de nombreuses années de recherche, celle-ci avancerait certainement plus vite si plusieurs équipes intervenaient pour confirmer les premiers résultats et si certaines personnes n’en bloquaient pas le financement, comme le laisse supposer l’intervention du Dr Billard durant la conférence (à 39 min 41s). Cette nouvelle approche conceptuelle en médecine dérange, car elle bouscule ce qui est considéré comme une connaissance acquise et intangible, en émettant l’hypothèse que le défaut de départ est perceptif et non pas situé au niveau cérébral. Mais, là encore, il suffit de s’intéresser à la littérature internationale pour découvrir que ce « dogme » se fissure et est remis en question dans d’autres pays, notamment du fait des avancées extraordinaires des découvertes sur la plasticité cérébrale (Is Dyslexia a Brain Disorder ? Brain Sci. 2018 Apr; 8(4): 61).
En résumé, nous avons d’un côté de premières études, certes insuffisantes pour arriver à un consensus scientifique, mais montrant des résultats susceptibles d’éveiller l’intérêt (cf. le numéro 44 du magazine de l’INSERM : « Vers de nouveaux domaines de recherche »). De l’autre, le témoignage de familles, de plus en plus nombreuses, sur les bénéfices que ce traitement a apporté à leurs enfants. Bénéfices qui sont attribués beaucoup trop facilement à la motivation parentale dans le rapport de l’INSERM (Parce que les familles se découvrent subitement une motivation lorsqu’elles démarrent ce traitement, alors que beaucoup d’autres rééducations ont échoué auparavant ?).
Dès lors, la curiosité et l’ouverture d’esprit aux idées nouvelles, qui doivent normalement caractériser l’esprit scientifique, ne devraient-elle pas amener la communauté scientifique à s’interroger sur l’intérêt de ce traitement plutôt que de s’y opposer avec virulence ? L’histoire des sciences et de la médecine doit-elle forcément être un éternel recommencement (cf. Ignace Philippe Semmelweis, Stanley B. Prusiner, Hugues Duffau, etc.) ? Le moment n’est-il pas venu pour que le dialogue s’ouvre entre chercheurs, dans l’intérêt des jeunes patients, mais aussi entre association de patients et chercheurs ?
Sensoridys en rêve !
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