Œil, bouche et dyslexie
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Dans une thèse datant de 2002, Pierre Gangloff avait décrit les différents protocoles de son étude qui avait montré le rôle des afférences sensorielles trigéminales (informations émanant des récepteurs sensitifs du nerf trijumeau) sur le contrôle postural, ainsi que sur la stabilisation du regard. Le fait de modifier celles-ci pouvait d’une part détériorer le contrôle postural et la stabilisation du regard mais également les améliorer. Une modification expérimentale des afférences trigéminales, soit en modifiant l’occlusion dentaire, soit en anesthésiant unilatéralement une des branches du nerf trijumeau, avait influencé la régulation fine du contrôle postural. Il en avait conclu que toute modification des afférences trigéminales pourrait avoir des répercussions sur le maintien de l’équilibre.
Une nouvelle étude, réalisée en collaboration avec le service d’odontologie de la Pitié Salpétrière, vient maintenant montrer qu’en touchant la bouche, on peut modifier la vision. C’est une première !
Les résultats de cette étude exploratoire pilote suggèrent qu’il existe une modification de la localisation spatiale visuelle lors de manœuvres sensorielles ou mécaniques orales et de manière encore plus fréquente chez les dyslexiques. Ce phénomène varie aussi en fonction de la posture. Ces résultats nécessitent d’être maintenant confortés par des études complémentaires. Cette étude ouvre un nouveau domaine de recherche sur les relations entre perception sensorielle orale, perception visuelle et régulation posturale.
Dans cette étude a été utilisé le test du maddox postural qui, en perturbant la vision binoculaire, permet de mettre en évidence des troubles de la localisation spatiale visuelle :
L’influence de la bouche sur la localisation spatiale a été testée avec différentes stimulations sensorielles orales (différentes positions de la langue, lèvres serrées) ou mécaniques (rouleau salivaire, orthèse).
Voici un petit extrait traduit de cette étude :
« Les principaux résultats de cette étude suggèrent fortement que des manipulations au niveau oral modifient la perception visuelle et affectent les enfants dyslexiques différemment des normaux-lecteurs.
Effet global des stimulations orales sur l’axe visuel :
En utilisant le test de Maddox, qui perturbe la vision binoculaire, nous avons démontré pour la première fois qu’il est possible de modifier la perception visuelle en modifiant les informations sensorielles orales pour 69% des enfants dyslexiques et non dyslexiques.
Les changements étaient significativement plus fréquents dans la population dyslexique, et la labilité était considérablement plus élevée chez les dyslexiques.
[…]
Parce que les informations proprioceptives des muscles de l’oeil sont portés par la branche supérieure du nerf trijumeau, il n’est pas surprenant que des modifications orales puissent interférer lorsque l’équilibre oculaire est instable en raison de changements dans la fusion rétinienne.
[...]Stimulations orales, Hétérophories Verticales et Dyslexie:
La majorité des enfants dyslexiques ont des troubles visuels et phonologiques. Mouvements oculaires imprécis, difficultés de reconnaissance visuelle et perturbations phonologiques sont généralement considérés comme ayant une origine neurodéveloppementale.
Heilman a proposé que la bouche puisse jouer un rôle dans l’émergence des problèmes phonologiques des enfants dyslexiques qui ignorent la position de leurs articulateurs lors du discours.
L’impossibilité d’associer la position de leurs articulateurs avec des sons de la parole peut nuire au développement de la conscience phonologique et à la capacité de conversion de graphèmes à phonèmes.
Le haut niveau de labilité oculomotrice trouvé dans notre étude lorsque la position de la langue est modifiée pourrait aider à comprendre la présence de troubles visuels et phonologiques chez les dyslexiques. Cela pourrait aussi expliquer pourquoi certains dyslexiques ont plus de difficulté pour lire à haute voix.
L’article dans son intégralité :
Are changes in the stomatognatic system able to modify the eye balance in dyslexia?
Mettey Alexandre, Bouvier Anne-Marie, Jooste Valérie, Boucher Yves, Quercia Patrick (Journal of Oral Biology and Craniofacial Research, volume9, Issue 2, april-june 2019, pages : 166-171)
Les résultats de cette étude suggèrent également que des ajustements thérapeutiques dans la bouche pourraient avoir un effet néfaste sur la stabilité oculaire et sur la régulation posturale, plus particulièrement chez les enfants dyslexiques. Je vous invite dont à lire les recommandations données à ce propos par une orthodontiste sensibilisée à la prise en charge proprioceptive des troubles des apprentissages :
Votre enfant dys va porter un appareil dentaire ? Ce qu’il est utile de savoir.
Note : Image du nerf trijumeau, auteur: Suzanne Léger , Interscript inc. , Le monde en images, 2014