Vision et Attention visuelle
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Nous imaginons tous qu’il suffit que nos yeux se posent sur le monde, tels une caméra, pour nous faire une représentation exacte de ce qui nous entoure. Mais, bien voir met en jeu des mécanismes beaucoup plus complexes !
Dans une publication de 2005, le Dr Quercia pointait déjà l’importance d’une petite structure du cerveau nommée colliculus supérieur, où arrivent, entre autres, les données proprioceptives des muscles oculomoteurs (le cerveau connaît ainsi la position de nos globes oculaires dans leur orbite et peut les diriger vers leur cible). Il décrivait cette structure comme la « centrale » qui contrôle la direction des saccades oculaires en fonction de la représentation de l’espace environnant .
Pour aller plus loin, je vous propose donc un article de 2014 de la Revue Médecine/Sciences qui décrit le colliculus supérieur comme une structure clé dans la sélection visuelle. Il est d’un niveau un peu ardu, j’ai néanmoins sélectionné quelques passages que j’ai trouvés vraiment intéressants. En effet, il explique un aspect totalement méconnu de la vision de la plupart des gens (et qui entre en jeu dans les troubles perceptifs de la personne dysproprioceptive ) :
« Notre système visuel dispose d’une capacité limitée de traitement de l’information et, pour être efficace, il doit donc allouer ses ressources en priorité aux éléments les plus importants de l’environnement. Les principaux centres nerveux qui contrôlent ce mécanisme d’allocation, appelé attention visuelle, ont été localisés au sein du cortex cérébral. Dans cette revue, nous décrivons l’existence d’un autre centre de contrôle attentionnel, situé au sein du tronc cérébral, à savoir le colliculus supérieur (CS). Celui-ci exercerait son influence sur les processus de sélection visuelle en court-circuitant le cortex visuel.[...]Ce déficit marquant met en évidence le rôle crucial d’un aspect de notre vision qui passe d’ordinaire inaperçu : l’attention visuelle (ou sélection, ou orientation visuelle). En fait, nous avons tendance à imaginer que notre système visuel fonctionne comme une caméra, enregistrant en détails tout ce qui se passe autour de nous. En réalité, si notre système visuel devait être comparé à une caméra, 99 % de l’image qu’elle enregistre seraient flous. En effet, en raison notamment de l’inhomogénéité de la densité des photorécepteurs de la rétine, nous percevons de façon nette seulement la partie centrale de notre champ visuel, qui s’étend sur quelques degrés d’angle (un degré correspond plus ou moins à la largeur d’un doigt porté à bout de bras) . Pour compenser cette limitation, nous réalisons en permanence des mouvements des yeux qui permettent de placer les éléments importants de notre environnement à l’intérieur de cette portion nette du champ visuel. On appelle ce processus l’attention manifeste (overt attention). On comprend donc que notre système visuel doit faire preuve d’ingéniosité pour parvenir à construire une image qui soit « en apparence » complète, nette et stable alors qu’elle est en réalité partielle, floue et en mouvement constant. On comprend également à quel point les mécanismes qui décident où l’attention manifeste doit se porter sont un élément absolument fondamental de notre vision.
Par ailleurs, il semble que l’inhomogénéité de la résolution spatiale de la rétine ne soit pas le seul élément qui limite la qualité de notre vision. En effet, même sans déplacer les yeux, nous pouvons allouer des ressources visuelles à certains éléments de notre environnement plutôt qu’à d’autres. Ce processus s’appelle l’attention non mani-feste (covert attention). Par exemple, nous pouvons maintenir notre regard sur la route devant nous tout en « déplaçant notre attention » sur un autre véhicule qui nous dépasse. Dans ce cas, nous pourrons identifier avec plus de précision la nature et la vitesse du véhicule, mais nous serons moins à même de remarquer d’autres faits susceptibles de survenir ailleurs sur la route. Cela signifie qu’au-delà de la résolution spatiale de la rétine, certaines ressources cérébrales sont disponibles en quantité limitée et qu’il existe des processus au sein du cerveau qui permettent de contrôler où ces ressources doivent être allouées .
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ConclusionLes découvertes passées et récentes concourent à présenter le CS comme une structure clé dans la sélection visuelle, manifeste et non manifeste. Il semble que le CS exerce cette fonction via des mécanismes qui ne transitent pas par le cortex, suggérant que deux circuits attentionnels fonctionnent en parallèle au niveau cortical et sous-cortical. Les rôles spécifiques de ces deux circuits restent inconnus, mais on peut émettre l’hypothèse selon laquelle le réseau cortical serait plus spécifiquement impliqué dans les aspects cognitifs plus complexes de la sélection visuelle, comme par exemple la coordination avec l’action en cours, ou en fonction du contexte visuel environnant. Par opposition, le réseau sous-cortical serait, lui, important pour l’allocation automatique de l’attention vers les stimulus périphériques saillants, ou serait mis en jeu au cours de tâches répétitives, ou encore au cours d’apprentissages instrumentaux par renforcement.»
L’article dans son intégralité :
Le colliculus supérieur-Centre sous-cortical de la sélection visuelle
Il est intéressant de noter que dans sa publication de 2005, le Dr Quercia écrivait déjà :
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On estime qu’à ce niveau existe aussi, après capture par le système optique accessoire, une véritable représentation du monde extérieur qui permet au colliculus de contrôler les mouvements oculaires et corporels jusqu’à permettre à la fovéa de fixer le sujet intéressant.
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La fovéa est la zone de la rétine où la vision des détails est la plus précise, celle qui nous permet d’avoir une portion nette du champ visuel. Et pour lui permettre de fixer le sujet intéressant, nous utilisons nos muscles oculomoteur.
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Un certain chercheur , qui fait une analyse critique des publications du Dr Quercia (je ne donnerai pas le lien pour ne pas générer de flux sur sur son blog), ne voit pas le lien direct entre ses travaux sur différents aspects de l’attention visuelle des enfants dyslexiques et la posturologie :
Cet article explore différents aspects de l’attention visuelle chez les enfants dyslexiques, et contribue de manière intéressante à ce secteur de la littérature scientifique. [...] En tout état de cause, cet article n’a pas de lien direct avec la posturologie.
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Il semblerait pourtant qu’il y ait bien un lien entre la proprioception des muscles oculomoteurs, le colliculus supérieur et l’attention visuelle ! Et les prismes du traitement proprioceptif prennent en charge la proprioception des muscles oculomoteurs. Encore faut-il chercher à comprendre les mécanismes en jeu derrière la posture anormale du sujet dysproprioceptif et le mode d’action du traitement proprioceptif …
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Et pour finir, je vous propose de tester à nouveau votre attention visuelle !
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Note : Dans un article consacré à son dernier livre, le neuroscientifique Stanislas Dehaene explique que l’attention est un des piliers de l’apprentissage (encore faut-il que le cerveau reçoive des informations proprioceptives correctes pour la diriger correctement ). Extrait :
1. L’attention
Imaginez que vous arriviez à l’aéroport juste à temps pour prendre un avion. Tout, dans votre comportement, met en évidence la concentration de votre attention. L’esprit en alerte, vous recherchez le panneau des départs, sans vous laisser distraire par le flot de passagers, puis vous identifiez la ligne qui indique votre vol. Des publicités criardes vous interpellent, mais vous ne les voyez même pas : vous vous dirigez en droite ligne vers le guichet d’enregistrement. Soudain, vous vous retournez, car un ami vient de prononcer votre prénom : ce message, jugé prioritaire par votre cerveau, s’empare de votre attention et envahit votre conscience… vous faisant oublier le numéro du guichet. Telles sont quelques-unes des fonctions clefs de l’attention : éveil et alerte, sélection et distraction, orientation et filtrage. En sciences cognitives, on appelle « attention » l’ensemble des mécanismes par lesquels notre cerveau sélectionne une information, l’amplifie, la canalise et l’approfondit. Ce sont des mécanismes anciens dans l’évolution : le chien qui oriente ses oreilles, la souris qui se fige à l’écoute d’un craquement déploient des circuits attentionnels très proches des nôtres [...]
Faire attention, c’est donc sélectionner – et, en conséquence, prendre le risque d’être aveugle à ce que nous choisissons de ne pas voir. Aveugles, vraiment ? Le terme n’est pas trop fort : une expérience célèbre, celle du gorille invisible, illustre à merveille la cécité totale que cause l’inattention. Dans cette expérience, on vous demande de regarder un petit film où des joueurs de basket, en blanc et en noir, se font des passes. Vous devez compter le nombre de passes de l’équipe blanche. Rien de plus facile, pensez vous – et de fait, trente secondes plus tard, vous donnez triomphalement le bon compte. « Oui, mais… et le gorille ? » vous demande l’expérimentateur. « Le gorille ? Quel gorille ? » On rembobine le film et, à votre stupéfaction, vous découvrez qu’un acteur, déguisé en gorille, vient de traverser toute la scène en se frappant la poitrine. Impossible de le manquer, et d’ailleurs on peut prouver que vos yeux se sont bien posés sur lui. Si vous ne l’avez pas vu, c’est que, concentré sur les joueurs de l’équipe blanche, vous étiez en train d’inhiber les personnages en noir… gorille compris ! Obsédé par la tâche de comptage, votre espace de travail mental était incapable de prendre conscience de cet incongru quadrumane. L’expérience du gorille est une découverte fondamentale des sciences cognitives, maintes fois répliquée : le simple fait de focaliser son attention sur un objet de pensée rend aveugle à d’autres stimulations. [...]
L’expérience du gorille mérite vraiment d’être connue de tous, et particulièrement des parents et des enseignants. En effet, quand nous enseignons, nous avons tendance à oublier ce que c’est que d’être ignorant. Nous pensons que ce que nous voyons, tout le monde peut le voir. Et nous ne comprenons donc pas qu’un enfant puisse, sans aucune mauvaise volonté, ne pas voir, au sens le plus littéral du terme, ce qu’on cherche à lui enseigner. Or l’expérience est claire : s’il ne comprend pas à quoi il doit faire attention, il ne le voit pas, et ce qu’il ne voit pas, il ne peut pas l’apprendre.
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