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Comprendre l’hypothèse de l’origine proprioceptive de certains troubles des apprentissages, c’est d’abord comprendre le couplage Perception-Action et le rôle cognitif de la proprioception dans les relations entre perception et action. Après avoir partagé une vidéo d’Alain Berthoz, Professeur au collège de France, je vous invite à lire dans un premier temps cet entretien, donné en 2003, sur le site Recherche en mouvement :
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Entretien avec Alain Berthoz, Professeur au Collège de France par Odile Rouquet le 22 mai 2003
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Extraits :
« le cerveau simule les actions, il les prédit et il sélectionne les informations. Il est « un comparateur qui mesure entre ses propres prédictions fondées sur le passé et les informations qu’il prélève sur le monde en fonction de ses buts. (…)Le cerveau est avant tout un prédicteur et un simulateur d’action. »
« Cette fonction prédictive du cerveau se traduit par le fait que, en même temps que nous planifions une action – d’attraper un objet, de sauter par dessus un obstacle, de faire un geste – en même temps que le cerveau planifie le mouvement, il sélectionne les informations sensorielles pertinentes ou importantes pour le mouvement. »
« Autrement dit, le cerveau à chaque phase du mouvement et en fonction du contexte, le cerveau va présélectionner certains capteurs sensoriels qui sont importants. »
« Ce capteur vestibulaire, otolithique n’est bien sûr pas le seul qui permet au cerveau de connaître l’inclinaison du corps ; d’abord il y a des capteurs sous la plante des pieds, des capteurs tactiles qui forment une espèce de rétine tactile. La proprioception elle-même. »
« le cerveau cherche à établir une cohérence de toutes les informations qu’il reçoit…En effet, il y a un vrai miracle : comment se fait-il qu’à partir de cette multiplicité de capteurs sensoriels, de cette multiplicité de représentations internes du monde, du corps, nous ayons l’unité de la perception ? que nous nous percevions comme un corps unique dans un monde avec lequel nous avons une seule relation, en quelque sorte ? Nous avons de nombreux exemples de la rupture de cette cohérence : le vertige, l’agoraphobie sont des situations où cette cohérence (qui est une construction) est rompue. Les bases neurales de la construction de la cohérence sont encore peu connues. Ce que nous pensons aujourd’hui, c’est qu’elle est en partie due à ce que les neurologues appelaient, déjà au début du siècle précédent, le schéma corporel. C’est-à-dire que nous avons dans notre cerveau des mécanismes neuronaux qui sont de véritables modèles internes (selon notre jargon) du corps, de l’ensemble du corps. (…) Ceci implique que chacun d’entre nous construit depuis l’enfance et en fonction de son expérience, son propre schéma corporel, sa propre identité, sa propre cohérence. »
« les mécanismes d’anticipation, qui sont les fondements du fonctionnement cérébral, se traduisent par exemple par un rôle très important du regard dans le guidage de la locomotion.(…) le regard est utilisé comme un véritable ancrage de l’action ; c’est autour du regard en quelque sorte, utilisé comme un référentiel que va se construire le mouvement. Le deuxième mécanisme est le fait qu’un mouvement locomoteur ou une trajectoire dans un espace est sans doute d’abord simulé mentalement ; autrement dit, la séquence des événements, c’est une simulation mentale de la trajectoire ; le regard qui regarde là où la trajectoire est prédite, puis la tête et le corps »
« La perception est décision puisque percevoir c’est à tout moment choisir dans les sens ce que l’on veut voir. On ne peut percevoir que ce qu’on veut voir. (…) le cerveau au fond est une machine qui décide en fonction du passé, de la mémoire, de l’intention. »
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Dans un deuxième temps, je vous propose la lecture de cette autre interview (Revue URBANISME Villes-Sociétés-Cultures, N°368, Septembre/Octobre/2009) :
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Extraits :
« Le cerveau de l’homme, comme le cerveau des animaux, ne perçoit le monde qu’à travers ses grilles d’interprétation, ses capacités. C’est-à-dire que le monde tel que nous le percevons – comme l’avait d’ailleurs brièvement analysé Husserl et ses successeurs en philosophie –, est un monde dans lequel nous sélectionnons les informations en fonction de nos a priori, etc. »
« La dernière chose importante est que la mémoire n’est pas faite pour se rappeler du passé mais pour prédire le futur. Car le cerveau est essentiellement une machine qui anticipe, qui s’est développée pour anticiper les conséquences de l’action en utilisant la mémoire et l’émotion, l’émotion étant, elle aussi, un mécanisme pour prédire le futur. En un mot, le cerveau est une “machine” à prédire. »
« Pour cela il faut revoir ce que l’on appelle les cinq sens. Car on se refuse encore, collectivement, à ajouter le sens du mouvement à l’audition, la vision, le tact, le goût et l’odorat. De quoi s’agit-il ? Des capteurs qui sont dans les muscles, les tendons, et qui nous informent sur le mouvement de nos bras, de nos membres. La proprioception musculaire et articulaire ainsi que le système vestibulaire : soit des “canaux semi-circulaires” et des “otolithes” qui mesurent les mouvements de la tête et sont également des référentiels fondamentaux de notre perception de l’espace. »
« Par conséquent, il y a bien plus de cinq sens. Les sixième, septième, huitième sens représentent un ensemble de capteurs qui sont les capteurs justement, de la perception de notre corps. De là vient que nous devons réinstaller le corps en acte aussi bien dans la conception de l’architecture, de l’urbanisme, que dans l’apprentissage à l’école. C’est ce que fait le prix Nobel de physique Georges Charpak en introduisant de la manipulation à l’école. Il réintègre le contact du corps sensible avec la réalité. »
« La façon dont nous percevons l’espace touche aussi bien les grands aspects des neurosciences que les problèmes d’équilibre. En Italie, j’ai beaucoup étudié ces questions chez les enfants. Ma théorie est qu’une partie de leurs déficits ne sont pas des déficits moteurs mais une incapacité à manipuler les espaces. »